Je me souviens du temps de la lutte contre Napster, de la RIAA et de la MPAA, du site web de la RIAA qui fut piraté et changé par une page qui disait “nous avions tort, nous nous excusons, et pour nous faire pardonner, voici le dernier album de Linkin Park en .mp3”, etc. Je me souviens de Metallica qui avait réussi à faire fermer Napster (et qui, maintenant, affirment avoir changés et “comprennent mieux” le principe)… Ce qui m’a permis d’aller voir leur spectacle sans me sentir mal de le faire. Je me souviens de l’arrivée de The Pirate Bay, et des musiciens et surtout des compagnies de disques et l’industrie du film, sensationnalistes, qui pleurnichaient sous prétexte que le téléchargement illégal serait responsable de la perte de milliards de dollars et de la fin de la musique et de la télévision, etc.
Comment mesurer cette perte de milliards de dollars? C’est simple. Il suffit de prendre tous les fichiers illégalement téléchargés par l’humanité entière, d’y ajouter les statistiques de toutes les personnes sur la planète qui les ont téléchargés, sur tous les sites webs (ou serveurs) de la planète, connus ou inconnus des maisons de disques, producteurs de films, et livres (etc). D’y ajouter les statistiques de tous les CD, toutes les cassettes, tous les vinyles, et tous les autres formats qui ont été copiés, ainsi que tous les enregistrements radio qui ont été enregistrés depuis l’avènement du bouton “record” et des cassettes vierges. Ensuite, on y ajoute les statistiques de toutes les fois que les gens ont utilisé un programme pour télécharger un mp3 ou un vidéo YouTube directement sur leur ordinateur. Finalement, on enlève de tout ça les statistiques des gens qui ont déjà acheté le produit, qui sont allés voir leur spectacle, qui ont acheté leur marchandise (gilets, posters, patches, vinyles, etc) pour supporter les artistes, ainsi que toutes les retombées économiques des gens qui, d’un jour à l’autre, ont “illégalement” découverts un artiste gratuitement pour ensuite le suivre et le recommander à leur entourage pendant toute leur vie.
C’est simple, n’est-ce pas? Ouais, pas vraiment.
Évidemment, tous ses chiffres sont carrément impossibles à trouver, sinon, au minimum, de grossières estimations. Ces “pertes” de milliards de dollars de l’industrie de la musique, selon… l’industrie de la musique? Selon leurs chiffres, un seul iPod de 160gb rempli de fichiers mp3 serait une perte de 8 milliards de dollars, ou 75 000 emplois:
Plus sérieusement, dans la littérature académique, aucun consensus sur “piratage égale perte de revenus”. Même un rapport du gouvernement états-unien de 2010 indique que plusieurs chiffres souvent répétés par l’industrie de la musique ne peuvent pas être prouvés. Ajoutons à cela qu’en 2009, un juge a affirmé: “un téléchargement illégal n’égale pas une vente perdue (…) bien qu’une personne qui a une version digitale d’un enregistrement sonore a peu de raisons d’ensuite l’acheter, ça ne veut pas nécessairement dire que la personne qui l’a téléchargée aurait acheté l’enregistrement s’il n’était pas disponible gratuitement”.
Les 20 dernières années de l’industrie de la musique:
- En 1999, c’est l’arrivée de Napster. Ainsi que sa fermeture en 2001. Beaucoup d’autres copies arriveront.
- Dans les années 2010, les profits de l’industrie de la musique ont diminué de moitié.
- En 2008, le Wall Street Journal disait: Après avoir poursuivi environ 35 000 personnes en justice depuis 2003 pour téléchargement illégal, incluant des mères monoparentales, une personne morte et une fille de 13 ans, un “désastre de relations publiques” pour certains, l’industrie de la musique “changera d’approche”.
Source: Music Business Worldwide.
Remarquez que leurs revenus ont diminués systématiquement pendant tout le temps ou ils ont dépensé leur argent à poursuivre ces milliers de personnes, jusqu’à perdre le quart de leurs bénéfices en passant d’environ 20 milliards à environ 15 milliards de dollars de profit. Et aussitôt qu’ils ont “changé d’approche”, leurs bénéfices sont demeurés stables de 2010 à 2015. Et c’est fort probablement la même chose pour l’industrie du film.
La loi de la jungle?
Aujourd’hui, le “streaming” audio est responsable de la majorité des revenus de l’industrie de la musique… et les musiciens se plaignent que Spotify ne leur donnent pratiquement rien. En 2019, le “streaming” comptait maintenant pour 80% des revenus de l’industrie de la musique.
En 2016: “Selon l’ADISQ, il faut 1613 achats sur iTunes pour qu’une chanson rapporte 1000 $ à un artiste québécois. Mais, il faut 830 000 écoutes sur Spotify pour arriver au même montant.”. Ajusté pour 2023, semble-t-il qu’il faut 300 000 écoutes pour avoir 1000$. Considérant que j’ai reçu 10$ de Spotify (au total, en plusieurs années, avec mes “vieilles” chansons), je suis plus populaire que je le crois: Scider aurait donc environ 3 000 écoutes.
Mon opinion? “L’industrie de la musique” ne méritait pas plus que 15 milliards de dollars de profit. Jusqu’en 2015, les artistes empochaient plus, “l’industrie” empochait moins. Justement, ne trouvez-vous pas ça suffisamment à la fois révélateur et démoralisant qu’on appelle cela “industrie de la musique” ? Qui voudrait volontairement affirmer qu’il fait maintenant partie d’une manufacture de musiciens? Dans “La loi de la jungle, partie 1”, j’expliquais “comment devenir riche grâce aux vidéos des autres” à l’aide du DMCA. Mais ceux qui abusent du DMCA ne sont rien face à ceux qui l’ont inventé, et qui deviennent maintenant riches grâce à la musique des autres. Ce qui me rappelle cet excellent vidéo qui parle évidemment des maisons de disques, nommé “Comment vendre un million d’albums et devoir 500 000$”:
Gloire à Bandcamp.
- Personnellement? Ma musique est sur Bandcamp.
- Combien ça coûte, pour vous, pour écouter de la musique sur Bandcamp? Zéro dollars.
- Combien ça coûte, pour les artistes, pour être sur Bandcamp? Zéro dollars.
- C’est uniquement lorsqu’un artiste fait du profit que Bandcamp en prend 15% (et 10% après 5 000$ de ventes).
- La norme est de 1$ par chanson et 10$ par CD, mais c’est l’artiste qui choisit le prix de ses chansons et CDs, donc qui peut choisir de vendre ses chansons 1.10$ ou 1.15$, ou ses CD pour 11.00$ ou 11.50$, si il veut vraiment faire un profit d’exactement 1$ par chanson et 10$ par CD, et pas moins.
- Il y a aussi Bandcamp Friday, qui sont des jours ou Bandcamp choisit d’empocher zéro dollars et de donner 100% des paiements directement aux artistes.
Finalement, évidemment, il est possible de vivre de sa musique s’il on adopte la simplicité volontaire. En étant riches en temps libres, en se moquant des riches propriétaires de Spotify, en les regardant en se disant “certaines personnes sont tellement pauvres que tout ce qu’elles ont, c’est de l’argent”. C’est mon but. Mais l’argent reste quand même un besoin pour certains artistes, et ça fait longtemps que les propriétaires de Spotify n’ont plus besoin d’argent pour assurer leur survie.
Je termines donc ce texte avec un article du journal satirique The Hard Times qui porte le doux titre de “Une chanteuse célébrant 1 million d’écoutes sur Spotify est demandée dans la section de la nourriture congelée”.